Rencontre avec une femme victime de violence conjugale

On a beaucoup parlé de l’explosion de la violence conjugale pendant le confinement. En France, encore beaucoup trop de femmes souffrent en silence, dans la peur et la honte. La gravité des faits est souvent minimisée, par la société et par les victimes elles-mêmes. Elles se taisent et endurent dans l’espoir de préserver leurs enfants ou que la situation va finir par s’améliorer. Il faut beaucoup de courage pour oser « partir ».

J’ai pu rencontrer l’une d’elles qui a accepté de se confier. Pour préserver son anonymat, nous l’appellerons Thérèse.

Les illustrations ont été faites spécialement par Victoria Ducruet,  jeune illustratrice et graphiste originaire de Cruseilles. Au crayon ou au feutre, elle raconte la poésie du quotidien. En octobre prochain, elle signe sa première bande-dessinée Dans l’attente d’une réponse de votre part (Éd. Carrément).

Bonjour Thérèse et merci d’accepter cet entretien. 

Tout d’abord peux-tu me dire comment tu as rencontré ton mari ?  

J’avais 17 ans, nous étions dans le même lycée et au départ cela n’a pas été un coup de foudre. Mais nos débuts étaient chouettes, c’était ma première relation sérieuse. Il avait un caractère fort, dominant, mais j’appréciais cette posture paternelle et protectrice. Mon père a quitté la famille quand j’avais 13 ans. Très vite, il y a eu des signes de jalousie, de possessivité. Mais je voyais cela comme des preuves d’amour. Il m’a demandé de l’épouser quatre ans après notre rencontre. Petit à petit, il a commencé à m’éloigner de mes copines, car, selon lui, elles ne me méritaient pas. Il a commencé à contrôler ma façon de m’habiller. Il me rabaissait de plus en plus, mais toujours en retournant la situation. C’était de la manipulation mais j’étais jeune, amoureuse et je rêvais de fonder une famille. Je me disais que tant qu’il y avait de l’amour c’était le plus important. Je suis vite devenue mère au foyer en 2000, à la naissance de notre premier enfant.

Quand la situation a-t-elle commencé à se dégrader ?  

Après la naissance de mon premier enfant, et c’est souvent le déclencheur dans beaucoup de cas de violences conjugales. J’étais focalisée sur mon enfant et j’ai délaissé mon mari, cela l’a rendu agressif. Puis, cela a été insidieux et son besoin de contrôle, son agressivité envers moi sont montés crescendo. Je me pliais à ses exigences pour éviter les cris et les représailles. Je suis devenue la ménagère modèle, une fée du logis. Pour ne pas faire de vagues, pour qu’il n’y ait pas de crise devant les enfants je prenais sur moi. Mais ce n’était jamais satisfaisant pour lui. Il a commencé à me rabaisser de plus en plus : il disait aux enfants que j’étais un boulet d’épouse, qu’ils ne fassent pas la même erreur de se marier avec une plaie… Il me contredisait sur tout, j’ai fini par arrêter de donner mon avis. Je me suis effacée et il continuait de me rabaisser. J’étais à son service, je devais être à ses petits soins.

Je suis complètement dépendante de lui financièrement. J’ai 3 enfants dont un gravement malade et je voulais me dédier 100% à eux. Il me rendait même responsable de la maladie de notre enfant.

Au début il n’y avait pas de violence physique mais de la violence morale. Les violences physiques ont commencé il y a 10 ans, avec de la vaisselle cassée, des objets jetés à la figure, des coups de poing dans les murs. La violence était d’abord retournée contre lui mais il me disait que c’était de ma faute. Il me disait que n’importe quelle autre femme l’aurait rendu heureux, qu’aucun autre homme ne pourrait me supporter. Il me menaçait d’un couteau, ou il menaçait de se tuer lui-même. C’était souvent pendant la nuit, les enfants n’entendaient pas. J’ai toujours essayé de les préserver. Quand je me rebellais et que je disais que je n’en pouvais plus, il me mettait des raclées d’une grande violence : coup de pied, mâchoire déplacée, épaule déboitée, il me trainait par les cheveux, parfois avec mon bébé dans les bras quand je ne pouvais pas me défendre. Quand la violence est trop forte, le cerveau peut couper le ressenti pour protéger le psychisme. La violence physique laisse des marques visibles, contrairement à la violence psychologique, invisible mais pourtant tout aussi grave. Cela m’a permis de constituer des preuves pour mon dossier. J’ai été dans le déni, et ce n’est que maintenant que je réalise la violence de ce que j’ai vécu.

Quand as-tu dit stop ? 

J’ai tout essayé, la douceur, l’affirmation, la colère. Je trouvais que je ne méritais pas cette violence physique et j’ai réalisé que le problème ne venait pas de moi.

J’ai décidé d’écrire une lettre à une association de femmes battues pour demander de l’aide. Quand j’ai reçu leur réponse je me suis effondrée, j’ai pu entendre de quelqu’un d’extérieur que ce n’était pas moi le problème. Je me suis confiée au prêtre de ma paroisse que je connaissais bien. Je suis allée voir un psy en secret mais je n’ai pas reçu ce dont j’avais besoin. L’association pour femmes battues m’a dit que je devais partir mais je n’étais pas prête. Je voulais pouvoir dire à mes enfants que leur maman avait tout fait pour qu’ils aient la meilleure vie possible.

Je sais qu’il n’y aura pas de fin heureuse, il ne me laissera jamais partir vivante. Il m’a dit qu’il me tuerait plutôt que de divorcer. Petit à petit, avec l’aide de l’association j’ai construit ma fuite logistiquement, matériellement et psychologiquement. Mon dossier est ouvert depuis 3 ans. Quand les choses d’adoucissaient un peu dans mon couple, j’arrêtais d’aller à l’association. La violence physique est rare mais la violence morale est presque quotidienne. Le confinement a été dur pour les enfants comme pour moi, nous subissons son mauvais caractère. Nous avons pris conscience qu’il ne changerait pas.

Est-ce que tu l’aimes ? 

Non plus aujourd’hui et je lui ai dit. Je n’ai plus peur et je me sens forte. Aujourd’hui on vit encore ensemble, il est dans la reconquête, il essaie de se « rattraper ». Il est devenu gentil mais c’est trop tard. Je suis sortie seule avec une amie pour la première fois depuis 25 ans. Je mets des robes, je revis. Je commence à en parler car jusque-là personne, pas même ma famille, n’était au courant. Je n’en avais parlé qu’à ma meilleure amie. J’ai de la pitié pour lui, il ne sait pas se gérer seul, il dépend de moi. Son ego en prend un coup car nous sommes vu comme le couple parfait. Lui ne boit pas, ne fume pas, il est travailleur. Moi je suis la femme au foyer dévouée.

As-tu peur pour tes enfants ?  

J’ai toujours essayé de défendre leur père auprès de mes enfants. Mais ils ont peur de leur père, leurs rapports ne sont pas tendres, il les rabaisse constamment. Je suis sure qu’ils n’ont pas connaissance de la violence physique mais ils se rendent compte de la violence morale car ils la subissent aussi. Ils suivent ma posture, ils anticipent son humeur pour savoir comment va se passer la journée. J’ai envie que mes enfants connaissent une vie plus normale et heureuse. J’étais tellement épuisée moralement, avec des problèmes de santé, que je n’étais pas capable de faire bouger les choses.

 

Comment vois-tu l’avenir ?  

Je commence à rechercher un job mais je réfléchis dans quoi, je suis confiante. Je suis sereine, les choses vont prendre place. Après des années de souffrance et de peur je me sens revivre. Je suis soutenue par ma mère, mes frères, mes beaux-parents, mes fils. Je pense avoir une mission sur Terre et je veux aider mon prochain. Je me suis toujours considérée comme indépendante, ma mère s’est assumée seule et cela ne me fait pas peur. Je pense toujours être capable de tout gérer seule. Mais je pense avoir besoin de voir un thérapeute car il faut que cela sorte. Le sport m’aide beaucoup. Je veux me reconstruire.

J’ai 42 ans je n’ai jamais travaillé, j’ai 3 enfants à charge, je ne choisis pas la facilité. Je ne suis plus dans la crainte. Je veux me redonner de la valeur en tant que personne, en tant que femme.

 

Pour en savoir plus :  Les chiffres de la violence conjugale en France  (par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF))

 

En 2018 :

  • 121 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire
  • 28 hommes ont été tués par leur partenaire ou ex-partenaire

Le nombre de femmes victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint, est estimé à 213 000 femmes par an.

91% des cas de viol sont perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 47 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits.

Suite aux viols ou tentatives de viol qu’elles ont subi, seules 12 % des victimes ont porté plainte.

Les violences conjugales non mortelles les plus fréquentes sont d’abord les humiliations (plus de 70% des cas), ensuite les coups à main nue (68% des cas), les viols conjugaux (50% des cas) et enfin la privation de ressources (37%).

Ou trouver de l’aide :

Propos recueillis par Elsa Thomasson

2 réponses sur “Rencontre avec une femme victime de violence conjugale”

  1. Elsa,
    Comment va cette femme aujourd’hui ? Tu as des nouvelles ? Elle s’en sort ?

    Ton article m’a donné des frissons. Malheureusement c’est le quotidien de beaucoup de femmes aujourd’hui. La violence conjugale qu’elle soit morale ou physique ne doit plus être un tabou.
    J’espère que ton article permettra à beaucoup de faire le pas et d’en parler, de se libérer de ce cercle vissieux qui te rabaisse de jour en jour.

    1. Oui je suis toujours en contact avec elle et elle avance petit à petit.
      C’est un parcours long, juridiquement et moralement.
      Mais c’est une femme très volontaire et j’ai confiance en son futur.

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